Les limites de la compensation carbone pour atteindre la neutralité carbone – 06.2020

News 17 juin 2020

Depuis la COP21 de 2015, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans la neutralité carbone. Mais cela implique qu’elles fassent appel à la compensation carbone, sans forcément avoir établi en parallèle une trajectoire de réduction des émissions de CO2 compatible avec le scénario 1,5°C. Or la neutralité carbone ne peut être atteinte que si ce prérequis est rempli, au risque sinon de ralentir la lutte contre le changement climatique. 

Amazon, Orange, Danone, Total, EasyJet, Shell, Microsoft, Inditex… De plus en plus d’entreprises s’engagent à devenir neutres en carbone d’ici 2050 au plus tard. En cumulé, elles représentent un chiffre d’affaires annuel de plus de 4 700 milliards de dollars. Mais cet engouement est observé avec méfiance par de nombreux experts car pour parvenir à cette neutralité, les entreprises font appel à la compensation carbone. L’ONU environnement (1) met ainsi en garde contre “l’illusion dangereuse d’un correctif qui permettra à nos émissions énormes de continuer à croître“. “Ce n’est pas une solution miracle et cela peut conduire à la complaisance“. Autrement dit, attention au greenwashing !

“Le risque est en effet que la notion de neutralité carbone soit vidée de son sens, alerte César Dugast du pôle d’expertise “Neutralité carbone” chez Carbone 4 (2). L’objectif de neutralité carbone fixé par l’Accord de Paris est très ambitieux car il est défini à l’échelle planétaire, dans un système fermé qui a un potentiel de puits limité. La ‘neutralité’ des entreprises est toute autre, car elle est basée sur la compensation carbone, une variable d’ajustement qui leur permet d’être ‘à l’équilibre’ en achetant des crédits carbone à bas coût. Cela peut induire un énorme retard dans l’action climatique si elles n’accompagnent pas cette pratique d’une réduction ambitieuse de leurs propres émissions en parallèle”.

La mal-aimée compensation carbone

Le principe est simple. Pour compenser leurs émissions, les entreprises investissent dans des projets qui permettent soit de réduire les émissions de CO2 (projets d’énergies renouvelables par exemple) soit de les capter (projets de reforestation), la plus grande partie de la compensation appartenant à cette seconde catégorie. La compensation carbone fonctionnerait ainsi comme une baguette magique : j’émets une tonne de CO2 donc j’absorbe une tonne de CO2. De 2006 à 2018, plus de 1 100 millions de crédits carbone ont ainsi été émis sur le marché volontaire, correspondant à 1 100 millions de tonnes de CO2.

“Le moyen le plus efficace aujourd’hui d’éliminer le carbone, pour moins de dix dollars la tonne, c’est la reforestation”, confirmait Patrick Pouyanné, PDG de Total, en juillet dernier. Sauf que les critiques pleuvent sur la compensation carbone : l’additionnalité du projet – le fait qu’il n’aurait pas existé sans ce financement – n’est pas évidente à démontrer, la permanence du stockage de CO2 est remise en question pour les projets forestiers (quand les forêts brûlent ou meurent, le CO2 est relâché dans l’atmosphère), le consentement des peuples autochtones n’est pas toujours garanti… Selon une analyse du Oko-Institut (3), datant de 2016, 85 % des projets étudiés avaient en outre une faible probabilité d’assurer les réductions d’émissions promises.

Les prix bas, autour de trois dollars la tonne de CO2 en moyenne, sont également pointés du doigt. “Aujourd’hui, un Français peut compenser ses émissions annuelles pour une trentaine d’euros, constate Augustin Fragnière, docteur en sciences de l’environnement et auteur de “La compensation carbone illusion ou solution ?“. Cela incite davantage au statu quo qu’au changement de système. Il faut donc sortir de cette logique de la soustraction induite par la compensation carbone, qui permet aux acteurs de se défausser, pour s’inscrire dans une stratégie de réduction ambitieuse des émissions en lien avec le scénario 1,5°C”

Parlez plutôt de contribution climatique 

“Il faut voir les crédits carbone comme une façon d’accélérer la transition écologique et non pas comme une façon d’annuler son empreinte, poursuit César Dugast. Il semble plus juste de dire qu’une organisation doit participer à la trajectoire mondiale de neutralité en réduisant ses émissions de CO2 aux niveaux requis, en aidant d’autres acteurs à réduire leur empreinte et enfin en développant ou en finançant des puits de carbone. C’est pourquoi nous préférons le terme de contribution climatique à celui de compensation carbone.”

Du côté des opérateurs de projets, on reconnaît que la logique “mesurer, réduire, compenser” en vigueur dans les entreprises ne fonctionne pas. “Le problème ne vient pas des projets de compensation mais plutôt de l’usage qui en est fait par les entreprises dans leurs stratégies de communication, explique Stéphane Hallaire, président de Reforest’Action. Je reste ainsi convaincu que financer un projet lié à la forêt peut constituer un électrochoc pour une entreprise et l’engager dans une stratégie de réduction ambitieuse de ses émissions.”

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